C’est quoi une espèce charismatique ?

1. De quoi parle-t-on ?

Quand le terme “espèce charismatique” est employé, il se réfère à certains animaux sur-représentés pour englober l’ensemble des espèces vivantes. Souvent, ces animaux peuvent répondre aux qualificatifs suivants : imposants par leur taille, beaux (par leurs couleurs, leur morphologie), rareté (par rapport à la géographie du public), risque d’extinction. Ce sont tout simplement les espèces appréciées, délaissant souvent les autres. Fondation biodiversité propose d’ailleurs une liste des animaux considérés comme étant les plus charismatiques : Top 10 animaux charismatiques, à travers laquelle, on remarque que plus de la moitié sont des félins.

Divers exemples connus existent comme WWF avec leur logo du panda ou bien les affiches de zoos montrant en gros plan, les grands félins ou des animaux imposants comme l’éléphant, le dauphin… Ce qui pose de gros problèmes pour les associations de conservation ainsi que pour les recherches.

2. La biodiversité au centre du débat

Au-delà des différents recensements disponibles sur Internet concernant la disparition de la biodiversité au cours des dernières décennies, deux données sont à souligner :

La première concerne le nombre d’espèces connues, réparties par classe par rapport aux espèces recensées dans la Liste rouge d’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).

Comme le montre la Figure 1, les données sont disproportionnées, prouvant une connaissances insuffisante en l’occurrence pour les insectes et les mollusques. Ceci explique donc pourquoi les espèces dites « charismatiques » sont plus représentées dans notre quotidien.

Figure 1 : Comparaison entre le nombre d’espèces connues avec le nombre d’espèces cataloguées dans la Liste rouge de l’UICN 

Source : Cowie, Bouchet et Fontaine, 2022, “The Sixth Mass Extinction: fact, fiction or speculation?

La deuxième donnée importante à retenir concerne des chiffres bien loin de la réalité en ce qui concerne la vraie proportion d’espèces existants à travers le monde. 

Par exemple, le déclin constant des espèces d’amphibiens durant le dernier demi-siècle est plus qu’alarmant. Pourtant, si un quart de la population globale des amphibiens est gravement menacée, il y a fort à penser que ce chiffre est amenuisé par le fait que beaucoup d’espèces nous sont encore inconnues à ce jour. Un bon exemple est représenté par l’emblématique crapaud doré (Incilius periglenes), avec quelques milliers d’individus observés par des scientifiques entre 1973 et 1986 au Costa Rica avant de disparaître complètement des radars en 1989. Ce court laps de temps ne permet donc pas un recensement suffisant pour qualifier toutes les espèces découvertes.

Il faut aussi comprendre que ces espèces dont on ne parle pas, ont un rôle tout aussi important dans nos écosystèmes. Par exemple, la présence de certains poissons permet de certifier de la qualité de l’eau douce, comme la bondelle (Coregonus oxyrinchus). Si on pense souvent à l’abeille pour polliniser, les papillons et les fourmis peuvent aussi remplir ce rôle. Quant aux vers de terre, les champs d’agriculteurs auraient bien du mal à vivre sans leurs constants déplacements qui retournent la terre. Ainsi, espèces charismatiques ou non, toutes méritent d’être mieux connues et protégées.

Le graphique ci-dessous illustre la classification des espèces en fonction de nombre d’individus dans une population, de leur répartition géographique, de la rapidité de leur déclin, etc. Malheureusement, beaucoup d’espèces sont fréquemment découvertes au moment où elles sont déjà considérées comme en danger ou en danger critique. Il est rare que les efforts mis en place soient suffisants pour les protéger, souvent par manque de connaissances de leur milieu et de leurs habitudes (alimentaires, comportementales, etc).

Figure 2 : Classification des risques d’extinction des différentes espèces en fonction de divers facteurs

Source : North Africa Trees

3. Et concrètement, qu’en pense Mère Nature ?

À titre de comparaison, pour comprendre l’impact réel des espèces charismatiques, prenons deux espèces éteintes : le mammouth et le crapaud doré, mentionné plus haut.

Le mammouth est un ancêtre des éléphants, disparu environ 6400 ans avant aujourd’hui. Le spécimen le mieux préservé est un bébé mammouth d’un an, nommé Iana, découvert en Iakoutie en décembre 2024. Malgré une technologie de clonage encore loin d’être au point et les problèmes d’éthiques concernant le bien-être animal, cela suffit à rendre certains scientifiques (comme Laboratoires Colossal) confiants pour vouloir recréer biologiquement des hybrides de mammouths, en utilisant comme argument les bénéfices face à la séquestration du dioxyde de carbone.

Pour sa part, le crapaud doré, éteint depuis maintenant environ trente-cinq ans, a été découvert dans une zone restreinte de la réserve naturelle de Monteverde, au Costa Rica. Pourtant, malgré le fait que cette réserve naturelle soit connue pour sa diversité d’espèces vivantes, les publications scientifiques sont maigres. De plus, comme les connaissances à son sujet étaient restreintes et que l’espèce n’apportait à priori pas d’intérêts bénéfiques, les efforts pour la protéger furent quasi inexistants.

Ainsi, malgré des millénaires qui nous séparent d’espèces éteintes, parce qu’elles sont charismatiques, elles bénéficient tout de même de plus de ressources financières et matérielles que d’autres, qui mériteraient tout autant d’être préservées.

4. Changer sa manière de voir les choses

Savoir est un bon début, mais qu’est-ce que cela implique à l’échelle individuelle ?

Le but de cet article n’est pas d’inciter à boycotter les zoos ou les grandes marques qui se servent des animaux charismatiques pour promouvoir leurs articles, mais plutôt de mieux comprendre et d’agir.

  • Ainsi, se renseigner sur les marques concernées permet de comprendre s’il existe un but purement commercial pour inciter à acheter leurs produits. À travers ces représentations biaisées, il faut aussi se rendre compte du but économique. Un zoo aura plus de chances d’attirer un large public en mettant à l’honneur des animaux beaux, impressionnants et qui inspirent la compassion (s’ils sont considérés comme étant en voie d’extinction) plutôt que des animaux repoussants et classés en préoccupation mineure.
  • La même réflexion se fait pour les fondations. Est-ce que l’argent collecté est distribué équitablement dans la conservation des diverses espèces ? Si oui, est-ce que ce but de conservation et de recherche est bien concret ?
  • Enfin, protéger la biodiversité, c’est aussi protéger son jardin. En regardant par la fenêtre, la faune locale se manifeste et nécessite, elle aussi, d’être chérie. Discuter de l’évolution de l’écosystème avec des locaux, rejoindre ou initier des programmes de sensibilisation dans sa ville, participer à des applications de recensement, etc peuvent être de bons points d’ancrage.

Voici une liste non exhaustive d’applications de recensement de la faune locale :

  • Bouquetin pyrénées : initié par le parc national des Pyrénées
  • INPN Espèces : utilisable en France métropolitaine, en Corse et en Outre-mer
  • iNaturalist : disponible à travers le monde

5. Conclusion

Dans plusieurs décennies, il existe un futur dans lequel nos enfants pourront s’émerveiller devant un dérivé de mammouth, alors que ce même monde pourrait ne plus accueillir qu’une minorité d’amphibiens et de poissons, peu connus encore aujourd’hui. Comprendre l’objectif des promotions commerciales à travers l’utilisation des espèces charismatiques et s’émerveiller devant la faune et la flore, même celle que l’on pourrait considérer comme commune, à tout à nous apporter.

Sources :

Le pacte vert : solution miracle ou trou noir pour l’économie européenne ?

Si le changement climatique est un terme qui existe depuis plus d’un demi-siècle, 2019 marque un tournant significatif pour l’Union Européenne (UE). En six ans, une dizaine de nouvelles régulations ont vu le jour pour guider les économies européennes vers un avenir plus durable. L’objectif étant d’atteindre la neutralité carbone au sein de l’UE d’ici 2050, les ambitions ne sont pas des moindres, comme :

  • la promotion de l’économie circulaire,
  • la transition vers une agriculture plus durable,
  • le développement d’un plan visant à une transition équitable et inclusive pour tous.

Pourtant, beaucoup se plaignent de la quantité et de la vitesse d’implémentation des diverses directives et réglementations Européennes, telles que la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Requirement), CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), la CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), etc. Est-ce que ce package que les institutions européennes promeuvent ne va pas, au contraire, envoyer l’UE et ses marchés partenaires tout droit à leur perte ?

Si le pacte vert comporte un certain nombre de régulations comme la stratégie forestière ou le règlement sur la restauration de la nature, cet article se concentre sur les directives et régulations liées à la finance durable.

Source: Le pacte vert

1. En quoi consiste le pacte vert “financier” ?

À l’origine, le pacte vert a été adopté par les membres de l’UE pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris (2015). Ainsi, un plan de développement de réglementations a vu le jour pour permettre une réduction des gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030 en comparaison avec les années 1990, puis une neutralité carbone d’ici 2050 en Europe. 

En termes de durabilité financière, le pacte vert a donné naissance à plusieurs directives importantes pour les entreprises. Voici une liste comprenant les principales régulations visées par les récents débats :

  • La SFDR mandate les compagnies à reporter en annexe de leurs états financiers  leurs investissements durables. Cela permet ainsi aux investisseurs de pouvoir se tourner vers des stratégies plus durables ainsi qu’aux compagnies de promouvoir leur marque.
  • À travers la CSRD, les grandes entreprises et les PME, entre autres, doivent produire un rapport annuel sur un certain nombre d’informations non-financières. Celles-ci sont dues à l’impact des activités des entreprises sur l’environnement et la société.
  • La CSDDD renforce l’identification et la vérification d’informations sur les incidences dues aux activités négatives des entreprises.
  • La taxonomie verte permet de classifier les investissements qui ont pour stratégie une activité économique durable. 

Alors que la SFDR est entrée en vigueur en 2021, les autres réglementations sont encore en cours de développement au moment de la sortie de cet article. Il est donc possible que certaines informations divergent avec le temps.

Il est bien de noter que le greenwashing qu’incitent ces rapports est fortement réduit avec l’obligation d’auditer ces rapports de durabilité avant leur publication.

2. Observations d’une évolution rapide (2019-2023)

Contre toute attente, le frein dans le quotidien des citoyens européens que le COVID-19 a engendré, a permis au pacte vert de s’implanter dans des esprits qui avaient besoin d’une vision futuriste positive. Mais cela a aussi ouvert les yeux de beaucoup face à l’aggravation des problèmes d’approvisionnement et de crise énergétique qui en découlaient. Avec le changement climatique et les inégalités sociales mis sous les projecteurs, le projet a pu prôner la croissance et la stabilité. 

Malheureusement, si le COVID-19 a déclenché un mouvement vert, celui-ci a été relégué au second plan pour permettre au “Plan de relance post-Covid NextGenEU” de soutenir les citoyens pour se relever de cette année éprouvante.

Donal Trump – Crédit photographie : Unsplash

À l’international, les avis divergent tout autant. Si beaucoup saluent l’initiative de l’UE et s’en servent pour imbriquer davantage leurs relations commerciales, ce n’est pas le cas de tous. Aux Etats-Unis, les élections de Trump relancent des débats pour le moins incertains sur les relations avec les marchés européens. Quant à la Chine, l’initiative du pacte vert apportait une perspective de transition verte bienvenue par les experts chinois. Cependant, l’affaiblissement de l’UE face à la guerre en Ukraine et le fait que le marché économique Chinois reste principalement visé par les différentes stratégies (par ex. l’initiative de rendre le prix des voitures électriques européennes plus attractif) n’engendre pas une perception positive de l’UE par la Chine. Tout porte à croire que des conséquences négatives pourraient en découler si l’UE ne tend pas vers un changement de stratégie pour jouer un rôle moteur dans une perception et une collaboration plus positive avec les marchés économiques chinois.

Du côté des entreprises, ce n’est pas une surprise que ces dernières se plaignent de l’augmentation de la charge administrative face à une économie qui peine à talonner ses plus grands concurrents. Bien que les grandes entreprises aient plus de ressources à leur portée pour s’adapter dans les temps, les PME ont quant à elles, besoin de beaucoup plus de ressources technologiques et employables pour se mettre à la page dans les délais impartis.

3. La CSRD déclenche-t-elle un frein au processus européen ?

Alors que le délai pour transposer la directive dans la loi nationale a expiré le 6 juillet 2024, la moitié des pays membres n’ont pas encore terminé le processus, malgré une lettre publiée par la Commission Européenne ouvrant les procédures d’infractions. Certains pays comme le Luxembourg et l’Allemagne révisent encore leur brouillon de la transposition, alors que le Portugal et l’Autriche n’ont pas encore initié de transposition officielle.

De plus, un certain nombre d’entreprises non-européennes liquident leurs filiales installées dans l’UE, pour éviter de devoir entreprendre ce lourd projet ainsi que de dévoiler des chiffres qui ne sont potentiellement pas au niveau des attentes des consommateurs.

De plus, ce 26 février a marqué un retour en arrière face aux efforts environnementaux et sociaux fournis ces dernières années. La commission européenne a annoncé un revirement dans le plan initial : la simplification des charges de reporting des entreprises (Omnibus Simplification Package en anglais). Après des années de création de régulations visant à promouvoir la durabilité au sein des entreprises, un nouveau chantier est entrepris, mais cette fois pour déréguler. Une décision qui fait souffler de soulagement bon nombre de sociétés qui n’étaient pas prêtes pour la quantité d’information durables administratives à fournir, mais qui réduit aussi des années d’efforts pour construire ces standards (ESRS, Taxonomie Européenne, etc). A ce jour, rien n’est encore joué, la nouvelle proposition devant encore passer devant le parlement et le conseil européens. Une longue période d’incertitude est encore à venir.

4. Conclusion

Il y a fort à croire que beaucoup d’entreprises vont continuer à faire barrage à l’avancée des directives environnementales futures, comme indiqué lors d’un débat entre le premier ministre Luxembourgeois Luc Frieden et la Fedil (fédération entrepreneuriale multisectorielle au Luxembourg).

Pourtant, beaucoup de start-up et de PME (Petites et Moyennes Entreprises) voient la transition environnementale comme un atout pour leur croissance. Les consommateurs, quant à eux, demandent à ce que les entreprises prennent plus d’initiatives pour l’environnement et la justice sociale. Ainsi, le pouvoir de décision ne réside pas que dans les mains des grandes entreprises, mais dans la voix des consommateurs finaux.

Faut-il voir ce revirement de décision comme une défaite de la part de la Commission Européenne face à la frustration et l’indignation grandissantes des entreprises ? Ou plutôt comme une stratégie visant à redonner un coup de fouet à l’économie européenne, tangible depuis ces derniers mois ?

Pour approfondir

Cet article s’est centré principalement sur les relations externes avec la Chine et les États-Unis. Si vous êtes intéréssés par une analyse plus diversifiée, Sève le média vous invite à lire l’étude de Ifri datant de 2024 (seulement disponible en version anglaise)

Sources :